Quel lien entre temps de travail des médecins et sécurité du patient ?

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  • Jeune femme, interne à l'hôpital, regarde dehors accoudée à la fenêtre du couloir - La Prévention Médicale

Le temps de travail des professionnels de santé dépasse largement celui de la population générale, à la fois en volume total, en gardes et jours fériés travaillés. Les conséquences psycho-physiologiques sont bien répertoriées, des troubles du sommeil et métaboliques jusqu’à la perturbation récurrente de la vie privée. Un article récemment publié dans le British Medical Journal Quality and Safety (BMJQS) (Weabver 2023) nous propose un point actualisé sur toutes les études publiées sur le temps de travail des médecins et le lien avec la sécurité du patient, particulièrement à l’hôpital.

Auteur : le Pr René AMALBERTI, Docteur en psychologie des processus cognitifs, ancien conseiller HAS / MAJ : 14/12/2023

Une méta-analyse de grande ampleur

Les études sur l’impact sécurité ont été nombreuses à la suite de la décision prise en 2003 - et renforcée en 2011 - par le collège d’accréditation des médecins américains de limiter le nombre d’heures passées à l’hôpital pour les internes.

La limitation de 2003 à 80 heures par semaine maximum passées à l’hôpital, et à 28 heures de gardes consécutives s’est accompagnée d’une réduction de la "mortalité patient" de 11 % (p<0,001). 

L’obligation d’une journée de repos après une amplitude maximale de garde de 24 heures plus 4 heures réservées aux transmissions a été imposée en 2011.

Mais le collège d’accréditation a finalement reculé sur cette dernière décision en 2018, après la publication en 2017 de deux méta-analyses montrant que le manque d’effectifs en lien avec la journée accordée de récupération causait plus de préjudices aux patients que de bénéfices attendus par l’évitement des erreurs de médecins fatigués. La mortalité n’était pas réduite.

La mesure reste seulement en vigueur pour les internes de première année.

La littérature est assez pléthorique sur le sujet, avec déjà 24 revues systématiques, et près de 7 963 études parlant de fatigue des professionnels de santé. 

La méta-analyse de grande ampleur proposée a réuni les résultats de 8 362 articles en lien avec la question, dont 132, correspondant aux exigences des critères de qualité et de méthodes, ont été finalement analysés en détail. 68 parmi ces 132 contenaient suffisamment de détails dans le matériel et ses annexes pour être incorporés dans la méta-analyse.

Les résultats ont tenu compte de la qualité des publications.

Dans ce contexte, quatre essais randomisés dominent toutes les publications en rigueur et taille des panels (notée II-1). 46 autres études relèvent simplement d’une bonne qualité (notée II) avec au moins 1 000 professionnels inclus et plusieurs sites. Le reste des études est plus critiquable en termes de qualité (effectifs, sites, protocoles).

Que retenir de ces études ?

La plupart des études, particulièrement américaines, concernent les internes.

La question de ce que l’on regarde en matière de sécurité du patient est évidemment déterminante dans l’interprétation finale du lien entre repos et sécurité du patient. 

On retrouve régulièrement la prise en compte de mauvais ou retard de diagnostic, de retard de diagnostic de complications post opératoires, de mortalité (avec données ajustées) dans une logique AVANT-APRES la mise en place de mesures de repos imposées. 

68 études ont aussi pris en compte les dossiers patients suivis sur plusieurs années, pour en étudier :

  • la complétude, 
  • les complications, 
  • la survenue de mortalité inexpliquée, 
  • et plus globalement la détection d’erreurs médicales.

Comme dit précédemment, la mesure de 2003 de limitation du temps passé à l’hôpital a une influence reconnue très positive (malgré une certaine hétérogénéité des études) sur la sécurité avec une réduction moyenne de 11 % de la mortalité.

Par contre, la mesure de 2011 imposant le jour de récupération après la garde de 24 heures a donné lieu à moins d’études bien conduites, mais globalement n’a pas démontré un quelconque gain pour la sécurité, et a été l’objet de résultats très contradictoires.

Une autre leçon plus globale doit être tirée de cette analyse en demi-teinte sur l’intérêt du repos et de la limitation du temps de travail des professionnels de santé. 

L’idée de départ d’une meilleure gestion de la fatigue des professionnels fait sens médicalement et pour tout patient ; les exemples de pratiques réussies dans d’autres industries (l’aviation notamment) démontrent sans ambiguïté l’efficacité de l’imposition de règles de repos sur la sécurité du processus. 

Mais comme souvent dans la santé, on a oublié qu’une (bonne) mesure isolée (la check-list en chirurgie, ou les règles sur la récupération après garde) ne prend sens et efficacité qu’à la condition d’un développement d’une culture et cohérence globale du système sociotechnique.

Le manque d’effectifs est tel en santé que le repos récupérateur signifie souvent absence de soins pour le patient, ce dont on peut comprendre qu’il s’agit d’un risque supérieur à celui d’une prise en charge de plus faible qualité par un professionnel fatigué. 

 

Pour aller plus loin 

Weaver MD, Sullivan JP, Landrigan CP, & Barger LK (2023). Systematic review of the impact of physician work schedules on patient safety with meta-analyses of mortality risk. The Joint Commission Journal on Quality and Patient Safety. Volume 49, Issue 11, November 2023, Pages 634-647.